Expulsé sous la neige?

 

Novembre 2010. Lors d'une visite à un retenu, une bénévole de l'Observatoire rencontre Lahcen au Centre de Rétention Administrative de Palaiseau. Elle informe rapidement les membres de l’association qu'un ressortissant marocain de 37 ans est retenu depuis le 18 novembre après 5 heures de garde à vue et qu'il a cessé de s'alimenter quelques jours plus tard. Nous décidons, ma femme et moi, de lui rendre visite au CRA dès le lendemain.

 

Nous rencontrons un homme doux et aimable, mais fatigué, souffrant et très démoralisé. Lahcen n'a pas seulement cessé de s'alimenter, mais aussi de boire, depuis trois jours ! Il souffre des reins bien sûr...Il compte attirer l'attention des autorités sur le traitement que l'administration lui fait subir alors qu'il présente tous les critères d'une régularisation qu'il attend depuis des années. « Pourquoi suis-je arrêté, enfermé? Je suis une personne sans histoire, je travaille honnêtement, je vis en famille, je n'ai jamais commis aucun délit, je cherche à régulariser ma situation depuis des années maintenant... » Nous l'exhortons à cesser de mettre sa vie en danger et à boire à nouveau, ce qu'il fera après notre visite. Il poursuivra par contre sa grève de la faim pendant 22 jours.

 

 

 

Lahcen est arrivé en France à l'âge de 20 ans, en 1993, après le décès de son père au Maroc (lequel a servi dans l'armée française), rejoignant une partie de sa fratrie déjà émigrée en France. Après avoir vécu de petits travaux non déclarés et habité chez son frère à Bordeaux, il s'installe en 1998 chez sa soeur aînée, française par mariage, dans un bourg du Sud de l' Essonne. En 1999 il commence à travailler sous contrat, d'abord 14 mois dans une entreprise du bâtiment, puis depuis bientôt dix ans au service du nettoyage d'un petit supermarché à proximité de son domicile. Il n'est employé qu'à mi-temps – mais on lui impose des heures supplémentaires non payées – ce qui lui laisse le temps de s'occuper des devoirs de ses cinq neveux et nièces qui suivront une scolarité brillante. Chaque année Lahcen remplit consciencieusement sa déclaration d'impôt. En 2005, Lahcen dépose à la préfecture d'Evry un dossier de demande de régularisation pour «vie privée/vie familiale ». La réponse de l'Administration, négative est assortie d'une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF), qui ne lui parviendra qu 'en 2008 ! Il s'adresse alors à un avocat bordelais qui obtient de la justice la condamnation de la préfecture, à cause de ce délai,  à lever son OQTF, à lui délivrer un titre de séjour et à accepter le dépôt d'une nouvelle demande, ainsi qu'à verser 800 € de dommages et intérêts. Pendant toute l'année 2009, LAHCEN guette la boîte aux lettres dans l'espoir de la délivrance du titre tant attendu. Au retour de vacances familiales estivales, la boîte est pleine, de publicités et de journaux surtout, mais toujours pas d'avis pour le fameux sésame.

 

Lorsqu'il se rend en préfecture pour se renseigner, l'employée au guichet lui annonce qu'un recommandé lui a été envoyé, que la réponse était toujours négative et qu'il a dépassé le délai de deux mois pour faire appel de l'OQTF délivrée avec ! Monsieur A. risque donc d'être expulsé d'un jour à l'autre vers le Maroc, pays dans lequel il n'a plus que des attaches familiales de cousinage qu'il n'a pas vues depuis 17 ans. L'avis du facteur s'est-il mélangé aux publicités jetées ? Toujours est-il que le recommandé n'a jamais été retiré, et donc son avocat doit faire une mise en demeure auprès de la préfecture, mais ces démarches prennent du temps et fin 2010 LAHCEN est arrêté lors d'un contrôle (qui a parlé de  faciès ?) à la gare d'Etampes. C'est alors que nous le rencontrons au CRA de Palaiseau quelques jours plus tard. Plusieurs membres de l'Observatoire et de la Ligue des Droits de l 'Homme se relaient  pour le visiter au CRA afin de le soutenir moralement. Après qu'il soit passé devant le Juge des Libertés et de la Détention (JLD), qui a alors ordonné 15 jours de rétention, sa soeur contacte pour le défendre un avocat du barreau d'Evry, spécialiste du droit des étrangers.

 

Après une dizaine de jours, un émissaire du Consulat du Royaume du Maroc lui rend la visite obligatoire afin de décider de la délivrance d'un laissez-passer pour l'expulsion. Parallèlement, sa famille, ainsi que le comité de soutien qui s'est créé, interviennent auprès du consulat pour alerter les autorités marocaines de la solidité du dossier de Lahcen D'ailleurs les instances consulaires s'en sont bien rendues compte car Monsieur le Consul Général écrit au Préfet de l'Essonne pour tenter d'infléchir sa position, sans succès. Le consulat n'ayant pas donné de réponse dans la quinzaine, le JLD prolonge de quinze jours la rétention. L'avocat est absent, il fera appel de la décision, mais aucun vice de procédure ne pouvant enrayer la machine, l'appel sera rejeté en sa présence. Jeudi 16 décembre, Lahcen entame son 22ème jour de grève de la faim et sa période de rétention va se terminer à la fin de la semaine. Les retenus ne peuvent être gardés emprisonnés plus de deux fois quinze jours, plus deux jours. « Il va très bien » selon le médecin attaché au CRA. Il se plaint pourtant à ses visiteurs de douleurs et de spasmes stomacaux, de douleurs rénales, de saignements dans les urines. Il  a perdu douze kilos, a les traits tirés. Ce jour-là, le consulat l'informe qu'il a délivré un laissez-passer, « ne pouvant résister à la pression de l'Administration française pour que soient respectés les accords bilatéraux ». La veille, plusieurs responsables politiques régionaux étaient intervenus auprès du préfet de l'Essonne, Jacques Reiller, pour attirer son attention sur l'injustice qui était faite à Lahcen deux sénateurs, un député, la vice-présidente du Conseil Général. Le lendemain, nous rencontrons dans le local de visite un homme terriblement abattu que nous tentons de rassurer : son départ n'est pas inscrit au tableau des vols et la météo est très mauvaise pour ce week-end de départ en vacances. La situation n'évolue pas. Samedi, l'espoir renaît. Dimanche 19, nous nous éveillons soulagés : plus de dix centimètres de neige recouvrent la région parisienne et la radio annonce retards et annulations dans les aéroports parisiens. A midi, notre téléphone sonne, nous avons la stupeur d'apprendre que ce matin trois retenus, dont Lahcen ont été sortis du CRA et conduits sur des routes enneigées vers l'aéroport d'Orly pour y prendre d'hypothétiques vols vers leur destination de renvoi, sans en avoir été informés à l'avance bien sûr !

 

Quel acharnement à expulser ! Les vols de Roissy pour Casablanca ayant été annulés, il en est prévu un à 14h30 à Orly, qui sera évidemment retardé, dans la pagaille qui règne ce jour-là dans les aéroports. Qu'à cela ne tienne, ces gens passeront six heures d'angoisse à Orly dans l'attente de leur embarquement forcé vers 17h30.

 

Après avoir longuement hésité sur la conduite à tenir, Lahcen, qui restera toujours en contact téléphonique avec nous, effrayé, malade et affaibli, refusera l'embarquement contraint, tout comme ses co-retenus, s'exposant ainsi à une sanction pénale puisqu'il s'agit d'un délit, sanction souvent double puisqu'accompagnée d'une interdiction de territoire...

 

Comment tenter ensuite de rejoindre les siens après de telles condamnations ? Il y a en effet de quoi être désemparé...Mais l'expérience montre qu'il y a eu ces dernières années une tolérance de fait lors du premier refus d'embarquer et c'est sur les conseils de son avocat que Lahcen prend sa décision. Mais aujourd'hui, magnifique premier jour blanc pour les vacances des petits français, est un jour noir pour les rejetés contre lesquels notre République s'acharne. Ils sont immédiatement conduits en garde à vue (GAV) et passeront en comparution immédiate au tribunal de Créteil le lendemain, lundi. Lahcen a dépassé sa période de rétention, son voisin aussi depuis dimanche midi. Où est la loi?

 

 

 

L'avocat commis d'office s'entretient au téléphone avec celui de Lahcen, parti en vacances, et plaidera avec suffisamment de conviction pour que le juge demande un report et le libère en attendant un futur jugement. Il n'en est pas de même pour le jeune étudiant avec qui il s'est lié pendant la rétention et avec qui il a partagé ce triste scénario : Chalil sera immédiatement condamné à un mois de prison ferme à Fresnes et à trois ans d'interdiction du territoire, comme un véritable délinquant. Son crime : ne pas avoir eu de réussite à ses examens ! Lahcen, lui, est condamné le 7 janvier à deux mois de prison avec sursis. Son avocat prépare un recours devant le tribunal administratif.  L'avenir de Lahcen demeure  en ce début d'année 2011 toujours incertain : il ne sait toujours pas s'il pourra continuer de vivre avec les siens en Essonne, là où il vit et travaille depuis 17 ans.

 

 

 

Pascal et Catherine