Pirustian est Kosovar. Pas très grand, tout mince, les cheveux très noirs. Avec son tee-shirt blanc et son blouson clair, il a un air de fils de « bonne famille ». Ce qui frappe surtout, c’est sa jeunesse, il fait tout gamin. Quand il finit par comprendre notre question, il nous annonce 21 ans. L’âge de mon fils aîné… mais un parcours à des années-lumière dans l’escarpé du chemin. Même si son sourire lui éclaire le visage à la moindre occasion et lui donne un air tout jeune, on se doute bien qu’il a dû vivre des choses qui l’ont fait grandir plus vite, ne serait-ce que la guerre du Kosovo. Sans parler, évidemment de cet exil loin de sa famille, de son pays, et maintenant de cette arrestation.

« Habla you français ? »

La guerre du Kosovo, c’était en 1999 et il était encore dans son pays : si on saisit bien ce que Pirustian écrit avec application sur notre petit bout de papier, il n’en est parti que trois ans plus tard, le « 11.01.2002 ». Direction la Belgique où il a l’air d’habiter depuis. Il y a même une fiancée, Albina et son sourire s’allume encore plus grand quand il nous parle de sa cariña.

Pourquoi est-il venu en France, juste 24h comme il semble nous l’expliquer, difficile de le savoir. Voir des amis ? Acheter la robe de mariée ? Tenter sa chance parce qu’en Belgique, il a compris qu’il n’aurait pas ses papiers ? Essayer de s’installer un peu moins au nord et au froid ? Impossible de l’affirmer.

Parce qu’il ne parle pas un mot de français, Pirustian, tout juste un « oui », un « compris », de temps en temps. Ni français, ni anglais, ni allemand. Seulement de l’Albanais … et, nous le découvrirons par hasard quelques minutes plus tard au cours de la conversation, quelques mots d’espagnol « parce qu’il a passé 3… semaines ? … mois ? à Barcelone, dans une famille. ». Alors, nous parlons, dans un joyeux mélange de toutes ces langues à la fois, phrase commencée en espagnol, continuée en anglais, quelques mots français se glissant au milieu… ou l’inverse ! Très utiles, aussi, les gestes et surtout les dessins. Aide à ne pas négliger, non plus, notre petite feuille de papier. On a l’impression, juste ou fausse, que parfois, les mots lui parlent plus quand ils sont écrits noir sur blanc. Lui essaye de nous expliquer son histoire, il commence doucement en cherchant des mots que nous pouvons comprendre, puis l’envie de dire devient si forte qu’elle le submerge, il continue en albanais… Les mots l’emportent alors, très jolis, très chantants d’ailleurs, puis le silence revient, résonnant de notre incapacité à comprendre ce qu’il veut tant nous dire.

Un avocat qui ne nous apprend rien

Il sort de sa poche une photocopie abimée d’avoir été visiblement pliée et repliée un certain nombre de fois. C’est un papier officiel, avec le tampon d’un avocat d’Anvers. En flamand. Il faudrait savoir lire l’allemand pour aller plus loin que ce qu’essaye de nous expliquer Pirustian en répétant « régularisation ». Une fois de plus, le mur de la langue nous barre la route, même si les nombreux mots commençant par « ob » ne nous disent rien qui vaille. Pas plus que le « Polizeï » qui revient plusieurs fois. Mais on tient enfin une piste pour essayer d’aider notre petit jeune homme : appeler l’avocat belge.

Pendant les quelques minutes qui nous restent, on lui demande son numéro de portable. Pour lequel il appelle quelqu’un, sa cariña sans doute, qui le lui renvoie par sms ! On essaie de lui apprendre les jours de la semaine en français, histoire qu’il comprenne bien qu’on reviendra dans trois jours, vendredi. Pas gagné : quand on lui demande de nous apprendre à son tour les jours en albanais, il nous récite visiblement « janvier, février, mars…. ».

Notre coup de fil en Belgique ne donnera rien, et en tout cas, pas d’espoir. L’avocat voyait très bien de qui on voulait parler, mais il n’avait rencontré Pirustian que deux fois, ne savait rien de son histoire. Il lui avait juste lancé une procédure de régularisation, qui s’est arrêtée avant d’avoir pu aborder le fond : quand la police est venue contrôler s’il habitait bien à l’adresse déclarée, elle ne l’a pas trouvé. Et pour cause, s’il était déjà au Centre de rétention !

Vendredi… nous apprenons que Pirustian a été expulsé. Sans aucun doute vers le Kosovo, comment pourrait-il en être autrement après ce que nous avait annoncé son avocat belge ?

Pensées pour ce gamin au grand sourire dont les yeux se remplissaient d’étoile en faisant le signe d’enfiler une alliance au doigt de sa cariña Albina.

Martine D